L’église Saint-Clément de Marange est une église halle de style gothique tardif, probablement construite sur un édifice plus ancien dont la fondation est antérieure à l’an mil. Caractéristique des églises du Pays messin, elle présente des vestiges de fortifications qui témoignent du climat d’insécurité issu des rivalités féodales, puis princières, ambiantes jusqu’au 17e siècle. L’édifice mérite aussi le détour pour ses vitraux de l’artiste contemporain Jean Baumgarten.


HISTOIRE

L’église est citée pour la première fois en 997, dans la confirmation par l’empereur germanique Otton III d’une donation faite en 971 par Adalbéron, archevêque de Reims, pour réformer l’abbaye ardennaise de Mouzon. L’acte comprend « le manse seigneurial et la moitié de l’église de Marange ».

Pour sa part, l’abbaye de Hesse, près de Sarrebourg, possède en 1050 « la moitié de la Terre, l’église, le presbytère et le tiers des dîmes ». Mais dès le 13e siècle, pour des raisons financières, ces biens sont engagés à des familles patriciennes messines : les Marcoult et leurs héritiers les Baudoche. Engagistes au milieu du 14e siècle, ils deviennent collateurs de l’église et possesseurs du tiers de la dîme un siècle plus tard. À cette date, la dîme est partagée entre l’abbaye de Mouzon, le seigneur laïc et le curé, chacun pour un tiers.

Fief messin, mais enclave rattachée au Luxembourg, Marange est au 15e siècle sous domination bourguignonne puis plus tard espagnole [Cf. HISTOIRE DE MARANGE-SILVANGE, L’ÉPOQUE MODERNE]. Sa position frontalière lui fait connaître des épisodes violents rapportés par les chroniqueurs.

En 1475, la guerre qui oppose Charles le Téméraire duc de Bourgogne à la France et à la Lorraine voit l’arrivée de huit mille soldats dans les campagnes entre Metz et Rombas. Après avoir logé au village, le duc René II de Lorraine « fit bouter le feu à Marange et en l’église qui est du duché de Luxembourg (Chronique dite de Huguenin) ». L’église est reconstruite. Elle se présente alors sous la forme d’un bâtiment carré avec une voûte d’égale hauteur pour la nef et les collatéraux, formant dans les combles une salle suffisamment grande pour y réfugier la population ; l’édifice est flanqué d’une tour servant de forteresse, sans doute plus ancienne.





L’église et l’ossuaire de Marange d’après Migette, aquarelle de René Mogé (reproduction en quatrième de couverture dans le n°16 des Cahiers du Billeron, 2002)




Vue depuis le Hautrimont, 28 novembre 2023 (Photo François Noiré)

En 1514, le duc de Bouillon Robert de la Marck, en guerre contre le Luxembourg, attaque Marange avec quatre cents cavaliers de sa garnison de Florange et de nombreux fantassins. Sept hommes seulement sont présents pour défendre le village, les autres étant en renfort à Thionville, mais l’église fortifiée joue son rôle : les attaquants se contentent de la capture de deux vieillards « qui n’avoient pu monter haut au clocher comme les autres (Chronique dite de Huguenin) » et du pillage des maisons dont sept sont incendiées.

Le village connaît d’autres attaques en 1521 et 1542. En 1551, les Marangeois doivent recevoir par lettres patentes de l’empereur Charles Quint la somme de cinq-cents florins d’or, à employer avec une autre somme de trois-cent-six florins, pour la fortification et réparation de leur tour. Malheureusement, ils ont été avant son versement « chassés hors dudit village de Maranges par les guerres ayant lors icelle tour avec l’église été brûlée avec perdition de leurs biens (AD57) » ; cette attaque a probablement suivi le siège de Metz par Charles Quint en 1552. Les Marangeois doivent attendre 1587 avant de toucher la somme des mains du receveur de Thionville. Dans la seconde moitié du 16e siècle, l’église connaît donc de nouvelles reconstructions.

En 1605, l’administration luxembourgeoise dénonce le mauvais état de l’église et son emploi comme refuge, « remplie de [vos] coffres et autres hardes et tellement qu’elle ressemble plutôt à une halle et lieu marchand, non pas à une maison de Dieu, chose fort scandaleuse (AD57) ».





En 1614, une nouvelle sacristie est construite contre le mur Est.

Pendant la guerre de Trente Ans, le village subit les conséquences de son rôle de poste avancé espagnol et lorrain. En 1636, le commandant de la citadelle de Metz entreprend l’attaque de la maison forte et de l’église à l’intérieur desquelles se sont réfugiés les habitants, qui se rendent rapidement à la vue de canons. La tour et la voûte de l’église sont abattues [Cf. HISTOIRE DE MARANGE-SILVANGE, L’ÉPOQUE MODERNE, LA GUERRE DE TRENTE ANS].

Un an plus tard, les décimateurs, Jean de Saint-Jure seigneur du lieu et l’abbaye de Mouzon, font exécuter des travaux : les piliers sont relevés et la toiture de tuiles rétablie. Mais ils laissent la reconstruction de la voûte à la charge de la communauté villageoise. Sur le refus de ces derniers débute un procès de quarante ans. Dans sa visite pastorale de 1676, l’évêque fait observer qu’aucune église n’a été trouvée « en si mauvais ordre que celle de Marange, la voute de laquelle est entièrement ruinée en sorte qu’il ne reste que les piliers qui la soutenaient par le passé (…) que la plupart des tuiles de la toiture sont tombées (AD57) ». Le vent qui s’engouffre par les fenêtres dépourvues de vitres éteint les luminaires pendant l’office. Des réparations provisoires sont exécutées.

Vue depuis les hauteurs de la chapelle des Vignes, 9 septembre 2009 (Photo François Noiré)






Vue depuis le lavoir de la Cheneau, 11 octobre 2023 (Photo François Lanvin)


En 1680, un traité d’un montant de deux-cent-douze pistoles d’or est signé avec l’architecte Jean Spinga. Dans le contrat sont compris le bois, la pierre de taille, les échafaudages et les cintres en bois pour monter la voûte. En quatre mois, la voûte est reconstruite et un clocher circulaire élevé jusqu’au-dessus du toit. Deux autres traités sont signés avec François Le Roy, maître charpentier au moulin de Jailly, pour exécuter la flèche avec du bois de chêne de la forêt communale et rétablir la toiture. La visite de 1684 fait rapport d’une église « nouvellement et entièrement voûtée, fort belle et spacieuse (AD57) ».

Au 18e siècle, l’église devient trop exigüe pour accueillir la population croissante. En 1769, Marange et son annexe Bronvaux comptent neuf-cents communiants, sans compter les enfants de plus de sept ans qui suivent l’instruction religieuse. Or les bancs de l’église, « lesquels tout étroits, serrés et confus qu’ils sont (AD57) » ne peuvent pas accueillir plus de trois-cent-cinquante-sept personnes. Entre 1753, date du premier constat, et le début des travaux, trente-cinq ans vont s’écouler, opposant décimateurs et paroissiens à propos du financement ; l’agrandissement nécessite des transformations importantes et on parle même d’une reconstruction totale… En 1772, l’église est interdite par l’évêque, mais les délais sont reconduits, entrecoupés de pages de procès. En 1785, les paroissiens se voient contraints d’aller à la messe au village voisin de Pierrevillers, y compris les Bronvallois qui forment le dernier bastion d’opposition à un accord. Les travaux sont enfin exécutés entre 1788 et 1790. Le pignon ouest est entièrement remanié pour se voir accoler deux nouvelles travées, et la tour circulaire abattue laisse place au clocher porche actuel.

L’histoire de l’église est ensuite plus apaisée, avec un 19e siècle ponctué de travaux réguliers d’entretien ou d’embellissement et un 20e qui s’ouvre avec la construction d’une nouvelle sacristie… jusqu’au 9 septembre 1944, quand un obus touche le clocher, pulvérise une des cloches dans un bruit de tonnerre et abat une partie de la flèche. Le bombardement est la conséquence d’affrontements entre les Allemands qui occupent le fort de Fèves et les Américains en position au-dessus de Marange. [Cf. HISTOIRE DE MARANGE-SILVANGE, L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE, LES GUERRES]. Le nouveau clocher est inauguré le 24 mars 1953. Les travaux définitifs, comprenant la couverture d’ardoises ainsi que la couverture de la nef et du chœur en tuiles mécaniques, sont achevés en 1964.




DESCRIPTION

L’église de Marange est une église halle de la dernière période du gothique, probablement construite dans la seconde moitié du 15e siècle pour les trois vaisseaux, et plus tardive (milieu à fin du 16e siècle) pour le chœur ; en 1788-90 elle a été agrandie du côté ouest de deux travées bien intégrées à l’ensemble, avec le grand portail actuel, surmonté de son clocher massif.

L’EXTÉRIEUR :

Perchée sur un éperon à l’entrée du village d’où elle domine les vallées de la Moselle et du Billeron, l’église est orientée selon les règles anciennes, le sanctuaire vers l’est. Jadis, elle était entourée d’un cimetière fortifié aux courtines percées de meurtrières dont une subsiste encore du côté de la rue de la République.

De part et d’autre, la partie ancienne se caractérise par une bordure chanfreinée à environ un mètre cinquante du sol qui délimite un empattement de la base, et par des contreforts. Trois fenêtres gothiques en tiers-point surbaissé présentent chacune un réseau décoratif différent. Les fenêtres de la partie plus récente ont été sculptées sur le même modèle.

Rue de l’Église le jour de la fête de la vigne, 6 septembre 2009 (Photo François Noiré)




Vue depuis la rue de la République, 11 octobre 2023 (Photo François Lanvin)




Côté est, le pignon présente un décrochage vertical, très probablement la trace de la tour de défense « joindante ». Il est percé de cinq fenêtres également de style gothique, cependant distinctes des précédentes tant par les motifs que par la technique de taille. Trois d’entre elles se découpent dans un chevet à cinq pans d’octogone, modestement couvert d’un toit à un pan de tuiles. Ce côté a très probablement été aménagé dans la seconde moitié du 16e siècle. À gauche du chevet, la fenêtre de l’ancienne sacristie porte le millésime 1614.

Contre cette dernière, côté sud, une nouvelle sacristie a été construite dans un style néo-gothique discret sur un plan de M. Keil, architecte communal. Également côté sud, une plaque commémorative porte le nom des enfants de Marange-Silvange tombés pendant la Première Guerre mondiale.

Signalons que l’ancien ossuaire daté de 1606 est entreposé contre le mur nord de l’église.



L’INTÉRIEUR :

En excluant les deux premières travées du 18e siècle, le regard apprécie l’ancien plan carré de seize mètres carrés. La nef et les bas-côtés dans le sens longitudinal d’une part, et les trois travées dans le sens transversal d’autre part, divisent le lieu en neuf carrés. La symétrie associée à la simplicité donne à l’ensemble une grande harmonie. Les trois vaisseaux sont d’égale hauteur et entièrement ouverts entre eux : l’église de Marange est un modèle d’église halle.

La voûte a été reconstruite en 1680 « en son état d’origine » par Jean Spinga architecte italien renommé. Une clé de voûte de la nef porte ce millésime. Les colonnes, fûts dépouillés d’environ quatre mètres aux chapiteaux à peine signifiés par des tores, portent les indices du réemploi d’éléments plus anciens.

Les huit fenêtres ont reçu en 1986-1987 les vitraux lumineux du peintre Jean Baumgarten (1937-2023). L’artiste a travaillé librement le thème de la création du monde : il y décrit un éden terrestre qui ne connaît pas le péché originel, fait par Dieu pour ses créatures dans l’éternité de la vie rurale mais aussi dans la temporalité du monde en mouvement.

Le chœur, de dimension réduite, s’ouvre dans le prolongement de la nef par un arc de triomphe assez étroit. Il présente une belle voûte d’ogives à liernes et tiercerons. Les armoiries de la clé, représentant deux lions portant un écu à deux croix, ont fait en 1779 l’objet d’une expertise sujette à caution et gardent leur mystère.

Les vitraux du chœur et du mur est ont été réalisés entre 1967 et 1969 par les Ateliers Benoît, maîtres verriers à Nancy. Ils proposent une série de scènes religieuses de facture très conventionnelle. Saint Clément patron de la paroisse y est représenté à droite avec le Graoully.

À droite du chœur, l’ancienne sacristie, devenue chapelle du Saint-Sacrement, est illuminée depuis 1975 par un beau vitrail de l’artiste naborien Arthur Schouler (1927-1984) : « Le Pélican ».


Vue depuis les hauteurs de la chapelle des Vignes, 9 septembre 2009 (Photo François Noiré)

LES CLOCHES.

Elles sont au nombre de trois : Marie Clément, 820 kg, tonalité en mi, fondue en 1922 ; Marie Françoise, 620 kg, fa dièse, née en 1850 de la refonte d’une cloche de 1685 ; Jeanne d’Arc, 467 kg, sol dièse, refonte de 1953 d’une cloche de 1922 détruite par un obus en 1944. Ces cloches rythment encore avec bonheur les journées du village de 7 heures (8 le dimanche) à 22 heures. En ce qui concerne le mobilier et la décoration intérieure, nous vous invitons à consulter nos écrits, et surtout à découvrir les lieux.



SOURCES :

Les Cahiers du Billeron, revue du Club marangeois d’histoire locale : « L’Église de Marange », François Louis Noiré, étude éditée en trois parties :

– le cahier n°15, 2001, dossier de 25 pages qui propose une visite de l’église ;

– le cahier n°16, 2002, dossier de 27 pages qui raconte l’histoire de l’église ;

– le cahier n°17, 2002, qui contient un article complémentaire de 4 pages avec des éléments de l’histoire au 20e siècle et la liste des curés et desservants depuis le 13e siècle.

Dans le Cahier du Billeron n°6, « 6 avril 997, première mention du nom de Marange », Joëlle Lombard, 1997 (article, 6 pages). Incontournable, numéro malheureusement épuisé, avis aux chineurs !

Vous trouverez dans ces numéros l’intégralité des références des sources de première main. Quelques citations du texte donnent la référence AD57, il s’agit des Archives départementales de la Moselle.

 

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter le Club Marangeois d’Histoire Locale à la bibliothèque municipale, et à consulter sa revue Les Cahiers du Billeron et son fonds d’archives.

 

Club Marangeois d’Histoire Locale / François Noiré / correction J. Lombard / 11 février 2024


Intérieur de l’église, vitrail de Jean Baumgarten (Photo coll. de l’artiste)