GRAND LAVOIR, OU LAVOIR LORRAIN

C’est ainsi qu’on appelle aujourd’hui le lavoir situé en contrebas du vieux village de Marange, du côté ouest.

Lavoir oui, mais les textes que nous avons consultés parlent souvent de fontaine. Ce n’est pas une erreur. Ce terme désigne d’une manière générale une construction assurant la domestication de l’eau dans un bref espace : le précieux liquide s’épanche par une bouche, s’apaise éventuellement dans un bassin, devenant disponible pour les usages humains, puis s’écoule par un trop-plein.

Ce sont les caractéristiques du bassin qui vont déterminer un usage plus précis : l’auge destinée à abreuver le bétail par exemple ne ressemblera pas au grand bassin à rebords du lavoir.

Les lavoirs se distinguent également, surtout à partir du 19e siècle, par une toiture qui assuraient aux lingères d’avoir la tête au sec, à défaut des mains !

Le grand lavoir de Marange-Silvange est l’un des plus beaux du Pays messin. M. Eyer ne s’y est pas trompé : inventoriant dans les années quatre-vingt plus d’une centaine de lavoirs sur 66 villages des environs de Metz, et ne portant pas d’autre jugement que l’état et l’entretien, il consacre au nôtre deux des dix-huit photos qu’il a choisies de publier. La bâtisse a d’ailleurs inspiré des artistes locaux, peintres et photographes.

Grand lavoir, rare photographie du début du 20e siècle (Collection Jean-Claude Aubertin)

Le lavoir de Marange, huile sur toile de Jeannine Mangin (reproduction en quatrième de couverture dans le n°17 des Cahiers du Billeron, 2002).

HISTOIRE

Il a été construit à la fin du 19e siècle, plus exactement en 1890, pour répondre à des besoins croissants auxquels les autres lavoirs, dont celui de Narpange, qui était situé un tout petit peu plus haut mais de l’autre côté de la rue, et celui de la Chéneau, à l’autre extrémité du vieux village, n’arrivaient plus à répondre. Il n’y avait pas de construction auparavant sur ce lieudit Au Vivier.

Un contact avait été pris en octobre 1886 avec M. Kommer, ingénieur du service hydraulique pour le Landkreis Metz (l’arrondissement de Metz-Campagne pendant la période de l’Annexion). Celui-ci ayant répondu que le projet était de sa compétence, le conseil lance le projet début janvier 1887, et « prie M. le Directeur, qui connaît le peu de ressources de la commune et les sacrifices qu’elle s’est toujours imposés, de lui faire obtenir du gouvernement, un secours pour lui venir en aide dans ladite construction. » Simple tournure d’époque pour demander une subvention. Le 6 mars 1887, le conseil municipal nomme pour trois ans une commission responsable de la surveillance pour la conservation des fontaines et des puits, et plus précisément chargée, en ce qui concerne la nouvelle fontaine, de s’entendre avec M. Kommer pour le tracé du plan et l’établissement du devis des travaux à faire, d’établir les liens avec les propriétaires pour l’achat des terrains, les fouilles, les concessions de prises d’eau « ou autres arrangements quelconques ». La commission est composée de MM. Émile Bertrand et Damase Remy.

Le plan est achevé le 15 juillet 1887 et approuvé par l’ingénieur Richtofer. En mars 1888, le devis est soumis au conseil municipal qui le trouve trop élevé ; les conseillers demandent que M. Kommer revienne sur les lieux afin de modifier son plan et le dresser d’après leurs avis.

En septembre 1889, le conseil municipal doublé des plus imposés de la commune, réuni sous la présidence du maire, accepte le projet et devis se montant à 6 500 marks présenté par Monsieur l’inspecteur du service hydraulique, « pour la construction d’une fontaine communale » (et la réparation d’une autre) et demande que, pour couvrir cette dépense, l’état veuille bien donner une subvention de 2 000 marks. Il est décidé dans les mois qui suivent que pour régler la dépense, un emprunt de 4 500 marks sera fait auprès de la caisse des dépôts et consignation d’Alsace-Lorraine au taux de 4 %, que cet emprunt sera amorti dans un délai de 12 ans, la première annuité étant payable en 1890-91, et que le payement de la rente d’amortissement sera assuré auprès des habitants par une imposition extraordinaire de 7,5 pfennigs par mark sur les quatre contributions directes à partir de 1890-91.

Le 20 mars 1890, le président de Lorraine entérine la subvention de 2 000 marks, qui doit être versée à la commune aussitôt que l’inspecteur du service hydraulique aura certifié l’exécution des travaux.

Le 20 mai 1890, le contrat de construction de la conduite et du lavoir est signé avec Émile Cordier, entrepreneur à Rombas, pour la somme de 6 393 marks et 90 pfennigs.

Grand lavoir, 20 décembre 2018 (Photo François Lanvin)

29 juin 1890 : le conseil réuni demande au président de Lorraine l’autorisation pour la commune de faire l’acquisition des terrains nécessaires, et nomme par anticipation une commission chargée de cette mission. Elle est composée de Jean-Baptiste Lorrette, maire et président de la commission, Emile Bertrand, Damase Remy, Edouard Leroy et Nicolas Fousse, tous membres du conseil.

Le 11 janvier 1891, les travaux sont terminés. Des experts sont désignés en dehors du conseil municipal afin d’évaluer les dégâts faits au Vivier par la pose des conduites d’eau, et pour prendre et vérifier les réclamations présentées à l’occasion des travaux ; le conseil nomme « Mrs Jean Pierre Messin, Lefort Jean Baptiste, Bertrand – Paulin ».

En septembre1893, le conseil décide de faire poser une pancarte ainsi libellée : « Défense de laver du linge dans le petit bassin et d’enlever les grilles sous peine d’amende », et il invite le maire à prendre un arrêté afin que les délinquants puissent être punis ; l’amende est fixée à 3 marks. C’est sans doute la première pancarte d’une série, dont peut-être une ou deux en allemand, jusqu’à celle encore aujourd’hui vissée : « EAU NON POTABLE – LAVAGE VÉHICULES INTERDIT Arrêté municipal du 05/02/1990 ».

Par la suite, le lavoir a joué son rôle pendant quelques décennies offrant aux habitants une eau vive et propre, puis comme partout ailleurs les ménagères l’ont déserté, avec l’apparition de l’eau courante à la maison et le développement des techniques. Jean Eyer, cité plus haut, faisait dans les années quatre-vingt le constat de nombreux abandons, d’édifices menaçant ruine et même disparus ; il signalait quelques lavoirs encore utilisés ou au moins fréquentés, pas nécessairement pour laver le linge, et quelques réemplois. Le grand lavoir de Marange-Silvange a échappé à l’hécatombe, sa dernière restauration date de 1999-2000.

Grand lavoir, 22 juin 2023 (Photo François Lanvin)

DESCRIPTION SOMMAIRE

Le bâtiment en pierre dégage un espace intérieur de 14 mètres sur 6. Il est ajouré sur sa longueur sud, côté rue, par six ouvertures en plein cintre dont les deux extrêmes permettent l’accès ; les quatre du milieu forment des fenêtres qui aménagent des rebords disponibles pour déposer le linge.

La charpente en sapin porte une couverture d’ardoises.

L’eau jaillit du mur du fond par une bouche, à l’origine en tête de Neptune en fonte. Plusieurs fois vandalisée, elle a dû être remplacée il y a quelques années.

L’eau s’écoule d’abord dans un petit bassin muni d’une grille. Son trop-plein aboutit au grand bassin qui peut se remplir à son tour. Ce dernier, d’environ dix mètres sur deux, est bordé d’une margelle, fendue sur le côté ouest pour assurer le trop-plein.

Le sol est pavé et délimite une rigole périphérique le long du bassin.

SOURCES :

Archives municipales, délibérations du conseil municipal et cadastre.

Archives départementales de la Moselle.

Les Anciens Lavoirs à Metz et dans les villages du Pays messin, Jean Eyer, « Renaissance du vieux Metz », n°59, septembre 1986.

 

 

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter le Club Marangeois d’Histoire Locale à la bibliothèque municipale, et à consulter sa revue Les Cahiers du Billeron et son fonds d’archives.

 

 

Club Marangeois d’Histoire Locale / François Noiré / 30 juin 2023


Grand lavoir,10 janvier 2021 (Photo François Lanvin)