Située au bas de la rue de la Fontaine, la fontaine de la Cheneau a sans doute une charge esthétique moindre que le Grand lavoir. Son charme et sa valeur sont ailleurs, et d’abord dans son authenticité immémoriale. Ce bâtiment associe un abreuvoir et un lavoir. L’eau qui s’en écoule formait le ruisseau de la Cheneau qui descendait le long du chemin d’accès au village, appelé un temps Chemin de la Chenaux ; c’est aujourd’hui la rue de la République, et le ruisseau est enterré.
HISTOIRE
La plus ancienne référence à cette fontaine, qui pourrait être contemporaine de la création du village, remonte à 1686.
En 1740, elle est décrite succinctement à l’occasion d’un problème de voirie : « (…) la fontaine publique avec une grande auge de bois et une pierre creuse qui sert à lessiver et à faire boire les bestiaux (…) ». Cette description est complétée en 1781 par un plan, également issu des services de voirie, qui montre que son emplacement et sa dimension n’ont pas varié depuis cette époque.
Le 28 prairial « de l’an trois des Français » (16 juin 1795), suite à une expertise des fontaines établie par le charpentier Jean Baptiste Floze et le maçon Dominique Lefort, le conseil municipal (général comme on disait alors) décide d’acheter un chêne pour remplacer l’auge à la Cheneau. Le dit Floze est chargé de cette mission avec Jean Treffot vigneron propriétaire et Jean Poulain maître menuisier charpentier. Les dépenses sont assurées par la recette de la location du Champ de la Ville.
Le 19 pluviôse « de l’an neuf de la République française une et indivisible » (8 février 1801), le citoyen maire Pierre Munier rendant compte de son administration fait état au chapitre des dépenses de deux francs et cinquante centimes remis au citoyen Georges Jonvaux pour nettoyer le bassin de la fontaine commune, et de quatre francs au citoyen Jean Paulin charpentier pour raccommoder le bassin de ladite fontaine.
La fontaine de la Cheneau, aquarelle de Lucette Meuret (reproduction en quatrième de couverture dans le n° 24 des Cahiers du Billeron, 2006)
Les élèves de l’école La Rousse découvrent le patrimoine marangeois, 2006 (Photo François Noiré)
Le 1er mai 1807, le conseil municipal prévoit de rétablir « la fontaine communale appelée communément La Cheneau (…) en un nouveau corps de bois de chêne en place de ceux qui se trouvent défectueux et pourris (…) ». Mais en 1809, rien n’a été fait : le conseil ne peut que constater le très mauvais état de la conduite en tuyaux de bois de chêne, presque totalement pourrie, et dont les eaux se perdent. Le 4 juillet 1810, le conseil revient sur la question et arrête « qu’il serait à propos » que le bois de la commune soit mis en coupe en adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur pour en utiliser l’argent au rétablissement des fontaines communales.
En janvier 1823, des réparations sont effectuées aux lavoirs pour un montant de 147 francs.
Le 15 juin 1825, le conseil emploie 450 francs à la réparation des fontaines de Narpange et de la Cheneau, « étant dans un délabrement presque total, les corps sont en vétusté et les eaux filtrent de toutes parts et rien n’arrive aux bassins ; la sécheresse extraordinaire que l’on éprouve en ce moment nous force à y remédier au plus tôt ».
En 1852, un arrêté municipal prescrit que les vaches et les chevaux seront conduits à l’abreuvoir municipal « à la corde » ou deux à deux attachés ensemble. Cet arrêté est complété le 18 juin 1863 avec l’autorisation du préfet : « Les chevaux ne pourront être conduits aux abreuvoirs qu’en laisse et par des personnes âgées au moins de 16 ans. L’accès des abreuvoirs est interdit aux chevaux atteints de maladie contagieuse (…) »
Le 11 novembre 1869, le conseil vote la somme de 400 francs pour des réparations. Un devis est demandé à Joseph Roussel, maçon à Pierrevillers.
Le 4 mai 1870, un crédit de 726 francs et 35 centimes est voté : apparemment, la source de la Cheneau ne répond plus aux besoins grandissants du village, ou son débit est en déficit. Le conseil demande que des recherches soient faites le plus tôt possible pour en trouver une autre ; les plans et devis doivent être exécutés rapidement pour une mise en adjudication. Mais la Guerre de 1870 (19 juillet 1870 – 29 janvier 1871) retarde les projets.
Le 13 septembre 1877, « vu la délibération (…) concernant la fontaine de la Chenaux sur l’extrême urgence des travaux à exécuter », le conseil autorise le maire à traiter de gré à gré avec l’ouvrier qui voudra se charger de l’exécution du travail à faire, de concert avec la commission de surveillance composée de Christophe Fousse et Eugène Lefort.
En janvier 1887, le conseil décide que les gouttières signalées par le rapport de visite des bâtiments communaux seront réparées dès que le temps sera favorable.
En 1890, la municipalité projette un réaménagement de la fontaine et emprunte la somme nécessaire aux travaux, en même temps que celle destinée à la construction du Grand lavoir. Le 30 octobre, l’entrepreneur est chargé de faire des tranchées aux fins de trouver une source suffisante derrière les maisons du village dans une vigne appartenant à Monsieur Lubré, sous la direction et la surveillance de la commission des bâtiments municipaux. On peut donc se demander si les projets de 1877 avaient abouti…
Le 8 mars 1891, le conseil municipal prend connaissance du plan de reconstruction et du devis de mille cent marks. Les conseillers Nicolas Fousse et Edouard Leroy sont commissionnés pour acheter une partie du jardin attenant afin de reculer le bâtiment d’un mètre pour élargir la rue. Mais le projet rencontre des obstacles : d’une part, le propriétaire réclame une compensation exagérée, et d’autre part, le responsable d’arrondissement veut faire remplacer l’abreuvoir en bois par une auge en fer dont le prix est jugé trop élevé. Le 2 juin, le conseil décide de laisser la fontaine à sa place, de commander un abreuvoir en pierre, matériau facile à obtenir « à cause de la proximité des carrières de Jaumont », et de le placer « sur la place qui se trouve devant la fontaine (…). » Le 30 novembre, en l’absence d’accord, le conseil municipal argumente que « le chemin de la Cordebut [rue de la Chapelle] qui est très étroit, passant à côté de la fontaine, les bêtes qui boiraient à la fontaine intercepteraient le passage. En second lieu les voitures qui jusqu’ici avaient du mal à tourner et de passer auprès de la fontaine seront encore plus incommodées. Et enfin on ne pourra guère empêcher les laveuses de rincer leur linge dans l’abreuvoir qu’elles auraient derrière elles. » À cette date, l’abreuvoir en pierre est déjà livré et le conseil ne veut rien lâcher ! Un compromis est finalement trouvé, laissant à chacun le sentiment d’avoir eu gain de cause : l’auge est en pierre, mais elle a pris place parallèlement au lavoir, comme on la voit encore aujourd’hui.
Novembre 2007, juste avant la restauration (Photo François Noiré)
Le 13 mai 1892, un accord est établi pour l’alimentation en eau avec Nicolas Curicque, propriétaire de la maison située à l’angle des actuelles rues de la Fontaine et de la Chapelle : la commune s’engage à faire recrépir et rétablir en bon état son four à pain, et en compensation, ce dernier autorise la commune à prendre le trop-plein du puits situé dans sa cave pour la conduire dans la fontaine. Le conseil accepte le jour-même un devis de 110 marks pour construire la conduite ; ce raccord existe toujours.
Le 18 mars 1894, le conseil vote en complément du budget 1893-94 la somme nécessaire pour régler deux factures concernant ce lavoir, l’une d’un montant de 62 marks pour M. Jost entrepreneur à Gandrange et l’autre de 38,80 marks pour M. Cordier entrepreneur à Rombas.
Octobre 2023 (Photo François Lanvin)
DESCRIPTION SOMMAIRE
Le bâtiment en pierre est d’une grande sobriété : un rectangle intérieur d’environ 8 mètres sur 3,40 mètres, pavé, avec une forte pente dans la longueur, sens nord-sud . Il est entièrement ouvert sur l’ouest, à l’exception d’un pilier de briques crépies imitation pierre, qui assure le soutien de la charpente. Cette dernière, en un pan de sapin d’une hauteur de 3 à 4 mètres en ses hauteurs extrêmes, porte une couverture de tuiles mécaniques.
La partie lavoir est à l’intérieur, à l’abri des intempéries. Elle est formée de deux bassins communicants de 0,65 m de large auquel il faut ajouter les tablettes de lavage en pierre de Jaumont d’une largeur de 0,35 m. Ils se partagent les sept mètres de longueur (le premier est un peu plus court). L’eau s’écoule d’une modeste bouche murale formée d’une rosace en fonte d’un diamètre de trente centimètres et d’un tube en cuivre, passe dans le deuxième bassin en léger dénivelé, puis le trop-plein finit sa course au sud en suivant la pente.
À l’extérieur, la partie abreuvoir, encore récemment formée de deux bassins, a été légèrement raccourcie et transformée en bac à fleurs au moment de la restauration de 2008.
SOURCES :
Archives municipales, délibérations du conseil municipal et cadastre.
Archives départementales de la Moselle.
Les Anciens Lavoirs à Metz et dans les villages du Pays messin, Jean Eyer, « Renaissance du vieux Metz », n°59, septembre 1986.
Lavoirs et fontaines en Pays messin, Jean Eyer, Editions Serge Domini, 2021.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter le Club Marangeois d’Histoire Locale à la bibliothèque municipale, et à consulter sa revue Les Cahiers du Billeron et son fonds d’archives.
Club Marangeois d’Histoire Locale / François Noiré / 26 octobre 2023
Octobre 2023 (Photo François Lanvin)